Boire ou courir, il faut choisir !

Deux jours après avoir effectué sa première mission pour le village de Kumo, si on pouvait appeler cela une mission, Enishi s’était levé d’un bon pied et se sentait près à servir une nouvelle fois sa patrie. Il était une fois de plus réjoui à l’idée de pouvoir s’entraîner en tant que ninja, étant fier de la voie qu’il avait choisi, mais il redoutait tout de même que ce nouvel ordre de mission puisse être aussi superflu que le précédent. C’est donc l’esprit heureux mais plein de questions qu’il partait une fois de plus pour la tour du Raikage. *Et si on me refilait une autre mission bidon, type planter des carottes ou ramasser des mauvaises herbes ? Et si on me demandait même de distribuer le courrier ?!*. Ensishi parvenait à s’énerver tout seul en pensant à cela et c’est perdu dans ses pensées qu’il quitta le domicile familial.

La petite maison en bordure du centre ville, qu’il habitait avec ses parents, était plus un refuge où il pouvait se reposer et se nourrir qu’un véritable foyer. Bien sur il était heureux de retrouver sa famille lorsqu’il rentrait chez lui, mais il n’était pas fait pour rester enfermé dans un espace aussi restreint. Ses désirs de liberté et de rencontres étaient bien trop forts, il avait besoin d’aventure. D’ailleurs, c’était surement cela qui dérangeait le plus Enishi dans le fait de réaliser ce type de mission. Il était seul, n’avait pas dépassé les frontières de son village et n’avait pas eu à combattre une seule fois. Trois éléments qui une fois réunis peuvent parvenir à assouvir les besoins d’un jeune ninja. Peut être même que réaliser cette capture en équipe aurait pu être assez exaltant pour qu’il n’ai rien à lui reprocher. Aussi décida-t-il, dès sa mission du jour accomplie, de se trouver une équipe de genins, et par la même occasion, un senseï pour lui permettre d’avancer sur la voie du ninja.

Quittant donc le quartier des habitations pour rejoindre la tour du Raikage, Enishi longea le centre ville afin d’en éviter la population déjà dense qui occupait les rues. Tout était normal. La routine des commerçants était confortablement installée, les habitants avaient leurs petites habitudes quotidiennes qu’ils n’oubliaient jamais de réaliser, et même Enishi avait son petit rituel personnel avant de commencer une journée. Lorsqu’il se rendait au dojo de son grand-père, et par la suite à l’académie ninja, il faisait un léger détour par le vendeur de fruits installés en bordure du centre ville, près d’une grande étendue d’herbe parsemées d’arbres plus grands les uns que les autres. Ce début de forêt qu’ils composaient était prolongé à quelques centaines de mètres plus loin et Enishi, à chaque fois qu’il venait dans cette boutique, se demandait ce qui pouvait bien s’y cacher sans jamais avoir eu le cœur d’aller vérifier par lui-même. C’était comme un autre monde qu’il imaginait de l’autre côté de ce champ et qui était sans doute la raison pour laquelle il aimait y venir aussi souvent.

Cette fois-ci, dans l’étalage de fruits et légumes que proposait le marchand favoris d’Enishi, quelques belles pommes rouges furent suffisamment étincelantes pour que le jeune ninja ai envie d’y goûter. Le vendeur, un homme âgé d’une trentaine d’années, lui tendit les deux pommes dans un sac en papier et prit en échange les pièces d’Enishi. Ses mains étaient encore foncées par la terre qu’il avait dû travailler la veille et les multiples écorchures qui s’y promenaient rappelaient le visage fatigué de l’homme. Enishi savait le temps à passer dans les champs avant que de si beaux aliments puissent arriver ainsi devant ses yeux, il en venait donc souvent à se demander si cela en valait vraiment peine au vu des maigres recettes qu’obtenait cet agriculteur en fin de journée. Mais jamais il ne se demanda si cet homme voudrait faire autre chose, car le sourire qu’il lui offrait jour à après jour était toujours sincère. Enishi se voyait assez bien dans cet homme, heureux de faire ce qu’il faisait car il était toujours dans le respect de ses propres valeurs.

- Hmmm …

La première bouchée de cette pomme savoureuse régalait pleinement le shinobi qui se faisait déjà une joie d’attaquer la seconde avant même d’avoir terminé la première. Dans un état de plaisir entier, Enishi ne faisait pas réellement attention aux personnes autour de lui, il veillait simplement à ne pas renverser qui que ce soit. Mais, tandis qu’il croquait à nouveau le beau fruit rouge, un choc arriva tout de même, faute d’attention. Il avait bousculé une jeune femme qui sortait d’une superette les bras chargés.

Heureusement pour elle la collision ne fut pas trop violente et tout ce qu’elle transportait pu rester à sa place d’origine. Tout ou presque, puisque son porte-monnaie avait glissé du sac pour atterrir aux pieds d’Enishi. Celui-ci ne tarda pas à se pencher pour le ramasser voyant que la jeune femme le cherchait éperdument. Il prit tout de même le temps de ranger sa pomme dans son propre sac afin d’avoir une main libre, et, lorsque l’objet fut en sa possession, il le tendit à la demoiselle, lui susurrant au passage ces quelques mots de sa bouche pleine de pomme :

- Ch’enez, un ch’oli porch’efeuille ch'our une ch’olie demoich’elle.

- Merci.

Ce simple petit mot, couplé à la course effrénée qu’avait entreprit la jeune femme, vexait profondément Enishi qui ne comprenait pas comment elle avait pu résister à son charme pourtant évident. Il resta donc quelques secondes à la contempler courir tel un animal apeuré, tout en gardant les sourcils froncés. Puis, après avoir ressortir sa pomme pour croquer à nouveau un autre morceau, un employé de l’épicerie dont la jeune femme était sortie déboula également de la boutique pour lui courir après. Voyant qu’elle était déjà trop loin, il abandonna vite son entreprise, malgré tous les « mademoiselle ! » qu’il avait pu crier pour l’appeler.

- Quelque chose ne va pas, monsieur ?

Qe mit alors à questionner Enishi, intrigué de voir tout le monde courir devant lui.

- C’est la p’tite demoiselle, elle m’a payé quatre bouteilles mais elle n’est partit qu’avec trois …

Enishi, encore froissé d’en être resté sur un échec lors de sa dernière tentative de séduction, proposa alors généreusement de la lui rapporter, ayant bien vu où la jeune femme était partit. L’épicier fut un peu réticent au début mais de toute façon on lui avait payé cette bouteille, il ne prenait donc aucun risque d’avoir un quelconque déficit. Enishi croqua donc dans la dernière partie de la pomme qui était encore comestible, puis il jeta le trognon dans un carton près de l’épicier qui faisait office de poubelle. Il se saisit ensuite de la bouteille et saluant l’employé, comme pour le remercier de sa confiance, il se mit à courir à toute allure. Sa destination était le petit parc au bout de la rue dans lequel il avait vu la demoiselle s’introduire. A partir de ce point les recherches pourraient être plus ardues pour Enishi car il n’avait aucune idée de sa destination, mais il se disait qu’elle ne pouvait de toute façon sortir de ce parc que par cette issue, ce qui délimitait au moins son champ d’action. Le jeune ninja n’avait cependant pas prévu que le parc soit aussi vaste et boisé, chaque arbre constituant une cachette potentielle pour la demoiselle.

Enishi fit donc, tel un vrai ninja, plusieurs approches furtives entre les buissons pour ne pas être repéré par la jeune femme, qui aurait alors de nouveau prit la fuite. Il allait d’arbre en arbre, de haie en haie comme s’il était en mission. Mission d’ailleurs qu’il aurait dû accomplir pour son village au lieu de courir après une fille, mais Enishi n’y pensa pas une seule seconde durant toute la durée de sa traque. L’adrénaline qu’il ressentait à ce moment et l’excitation provoquée par la peur d’être découvert, étaient des effets bien plus agréables que ceux qu’il avait pu ressentir lorsqu’il courrait après son chien mangeur de céleri. Finalement, après s’être caché derrière un assez gros buisson, Enishi pu inspecter totalement les lieux et ainsi repérer les cachettes probables. Il savait qu’il aurait forcément vu quelque chose si elle s’était installée derrière un arbre, un bras, une jambe ou un regard furtif. Il s’attaqua donc aux abris, ou à toute construction permettant d’être totalement couvert. Une petite pagode, nichée au bout d’un ponton qui surplombait un petit point d’eau, attira alors toute son attention. Les rambardes étaient suffisamment hautes pour masquer totalement la présence d’une personne, même allongée, ce qui correspondait assez bien aux critères de choix d’une éventuelle alcoolique.

Après quelques cabrioles toujours aussi subtiles, Enishi parvint à faire le tour du parc pour arriver pile derrière la pagode. Il ne savait pas trop comment approcher la jeune femme, se disant que de toute façon il l’effraierait puisqu’elle ne s’attendait pas du tout à sa venue. Il fit donc le choix de grimper le long du petit bâtiment pour en faire le tour et pouvoir se présenter à la jeune femme devant la seule issue de la pièce. Mais lorsqu’après plusieurs « Aïe » et « OooOh » très discrets à chaque fois qu’il avait faillit rejoindre les poissons, Enishi fut bien surprit de constater que la demoiselle qu’il recherchait n’y était pas. Son humeur passa donc d’aventurière à agacée et il se demandait bien où elle pouvait être, il se demandait même si elle n’était pas déjà partit pendant qu’il s’attelait à jouer au ninja. Ne pouvant cependant se résoudre à abandonner ses recherches, ce qui serait contre ses principes fondamentaux, il retourna récupérer, sans aucune pitrerie, la pomme et la bouteille qu’il avait caché derrière un buisson à l’entrée du parc, pour finalement en sortir et chercher ailleurs des traces de la jeune femme.

Mais comme c’est toujours lorsqu’on ne s’y attend pas que les choses se présentent à nous, Enishi, tandis qu’il se saisissait de son barda, remarqua à l’autre bout du parc une petite maison en bois cachée derrière des arbres. Il s’y dirigea donc naturellement, se disant que de toute façon si la jeune femme voulait sortir elle serait bien forcée de se mettre à découvert. Il fut alors surprit de constater, en jetant son premier coup d’œil à l’intérieur de la pièce, qu’à la place d’une jeune femme c’était une fillette qui gisait là, à même le sol, le regard vide et la bouche encore mouillée d’alcool. Elle n’avait même pas cherché à s’enfuir en voyant le shinobi pénétrer les lieux, preuve qu’elle était ivre morte. De plus, en voyant que les sacs et les bouteilles étaient les mêmes que celles de l’épicier, Enishi fut doublement choqué. D’abord par l’âge auquel cette gamine se soulait, mais aussi et surtout par le fait qu’il avait été berné par un sort de métamorphose depuis le début de sa traque.

- Hey petite ! Est-ce que ça va ?

Avait-il alors dit en s’approchant puis en s’accroupissant devant elle. Elle semblait ne pas avoir entendu, ou plutôt son corps ne semblait pas en mesure de lui permettre de bouger ne serait-ce que la langue pour tenter d’émettre un son. Elle parvint tout de même à se redresser au bout d’interminables secondes qui paraissaient être un supplice pour elle et Enishi cru qu’elle allait enfin lui répondre lorsqu’elle marmonna un :

- Hmmmrrgl …

Qui abouti en réalité sur une régurgitation assez prévisible après l’absorption d’autant d’alcool, mais assez inattendue pour Enishi qui reçu le contenu de cette projection sur les pieds.

- Ahhh ! Mais c’est dégueulasse !!

Il se redressa alors aussi vite que possible pour parvenir à faire un bond en arrière et ne plus être la prochaine cible d’un éventuel autre dégobillage. Cependant, voir ainsi ses pieds souillés l’écœurait encore plus que de savoir d’où provenait cette pâte visqueuse et répugnante. Il déboucha donc la bouteille qu’il était censé ramener à la jeune fille et se rinça les orteils avec. Il en bu également deux gorgées afin de ne plus avoir cette boule dans la gorge, symbole du dégout face à toute situation aussi nauséabonde.

- Mais qu’est-ce qui t’as prit de boire autant à ton âge ?! Quand on veut se bourrer la gueule pour voir ce que ça fait, on fait ça entre potes, mais pas tout seul dans son coin comme un pauv’ alcoolique !

Enishi parlait comme un grand-frère à sa sœur qui viendrait juste de dessiner sur les murs de sa chambre. Il ne voulait pas être trop rude avec elle, parce qu’il ne la connaissait pas et parce qu’elle avait l’air très mal en point, mais il voulait qu’elle comprenne ce qu’elle venait de faire. Il fini tout de même par lui venir en aide, voyant qu’elle en était presque à pleurer tant sa situation la mettait mal à l’aise.

- Allez, viens, on va aller te rafraichir un peu.

Il passa derrière elle et la souleva par les bras pour pouvoir la mettre dans une bonne position. Une fois celle-ci atteinte, c'est-à-dire capable de la tenir avec un seul membre pour pouvoir avoir l’autre libre, Enishi saisit la bouteille qu’il avait ouvert un peu plus tôt et rinça la bouche inerte de la jeune femme. Puis, il passa son bras libre, après avoir reposé l’alcool, sous ses jambes afin de pouvoir la porter dans une position à peu près allongée. Il pouvait donc enfin sortir de la maisonnette et rejoindre le point d’eau auquel il était un peu plus tôt, pour rafraichir la fillette qui ne réagissait toujours pas.

La fillette réagit finalement plutôt bien lorsqu’Enishi la posta devant le point d’eau. Elle pu s’y rafraîchir et l’on sentait dans ses gestes amples qu’elle en avait besoin. Sa situation la mettait mal à l’aise, c’était évident, et elle donnait l’impression de ne pas pouvoir vivre un instant de plus si elle ne se rétablissait pas dans la seconde. D’ailleurs, Enishi crut qu’elle voulait mettre fin à ses jours lorsque plongeant la tête dans l’eau pour se réveiller, elle y resta un peu trop longtemps. Finalement, elle sortit d’elle-même, au moment où le jeune ninja allait la soulever. Elle parut beaucoup plus forte après cette douche improvisée, et surtout plus lucide. Elle savait comment elle avait agit, elle avait parfaitement comprit ce qu’Enishi lui reprochait, et elle savait quelles questions poser à présent. Ces questions d’ailleurs, elle tenait visiblement à les poser au shinobi, et pour le faire, elle choisit de se jeter sur lui, le forçant à choir au pied d’un arbre coupé. Elle se blottit ensuite contre son torse comme pour voir de quoi Enishi était fait, puis elle prononça de ses petites lèvres humides :

- Pourquoi boire seule et qui plus est à mon âge ? ... Parce que j'ai quelques problèmes et questions qui restent incompréhensibles et sans réponse …

*Quelle maturité pour un si petit être* se dit alors Enishi, presque admiratif devant la présence d’esprit de la fillette. Il sentait en elle comme une mélancolie d’événements qui ne lui étaient pas encore arrivés, comme si elle regrettait d’être aussi jeune et de ne pas savoir comment se déroulerait son avenir, tout en sachant que celui-ci pourrait être encore pire que son présent, et qu’il fallait donc dès maintenant en être nostalgique. Enishi se demanda alors s’il avait eut de telles pensées à son âge, et se demandait même ne les avoir jamais eu. Il s’était toujours fixé des objectifs dans la vie et faisait donc varier son humeur en fonction de ses réussites ou de ses échecs vis-à-vis de ces buts. Il n’avait jamais imaginé pouvoir être malheureux dans son futur car le bonheur était pour lui l’idéal qu’il devait atteindre. Et voir ainsi quelqu’un d’aussi jeune se lamenter sur ses problèmes en sombrant dans l’alcool parvenait à remettre sévèrement en cause son idéal.

- Eh bien …

- Tu te nomme... ?

Avait-elle alors coupé le jeune shinobi. Elle semblait avoir hésité avant de prononcer cette phrase mais elle tenait visiblement à savoir à qui elle parlait.

- Je m’appelle Enishi Keijiro, et pour répondre à ce que tu viens de dire, je n’avais jamais essayé de régler mes problèmes par l’alcool, et ce pour la bonne raison que si on veut changer les choses, ce n’est pas en s’apitoyant sur moi-même qu’on y arri …

Sans se soucier des paroles du jeune ninja, la fillette s’était mit à boire une gorgée d’une petite bouteille qu’elle gardait dans sa poche. La forte odeur qui s’en était dégagée au moment où elle l’avait ouverte lui assurait qu’il s’agissait bien d’alcool, et lui montrait au passage qu’elle n’était pas encore tout à fait sobre. Enishi ne pu qu’être surprit par cet acte désinvolte qui montrait un grand détachement par rapport aux événements qui l’entouraient, pour la petite fille.

- Je vois que toi aussi tu apprécie le saké autant que moi, qu'est ce qui te plaît dans cette boisson sucrée ?

- Ne te méprends pas, si j’ai bu c’était pour me changer les idées, je te rappel que tu venais quand même de vomir sur mes pompes.

Avait alors répondu Enishi presque instantanément après que la jeune fille ai posé sa question. Ajouté à cela, il ria légèrement et accompagna le tout d’un large sourire qui réchauffait un peu l’atmosphère encore très tendue.

- Mais pour te répondre sérieusement, je ne considère pas l’alcool comme tu as l’air de le considérer. J’aime en boire parce qu’il permet de se sentir plus léger, mais comment veux-tu être capable d’avancer dans la vie si tu n’es pas maître de tes propres actes ? En plus, je te l’ai déjà dit, je bois rarement seul. Pour moi l’alcool n’est bon que s’il est partagé, avec ses amis en particulier et …

La fillette tendit alors la bouteille qu’elle tenait à Enishi. Elle semblait avoir réagit au mot « ami » et ses yeux paraissaient emplis d’un besoin affectif si fort qu’on voyait en eux des larmes prêtes à couler. Le shinobi ne voulut pas refuser, de peur de la froisser mais aussi pour lui montrer qu’il la comprenait. Cet alcool était malheureusement de mauvaise facture il du se forcer pour l’avaler, mais dans tous les cas, son geste, aussi symbolique qu’il pouvait l’être, était bien là.

- Tu sais, en te voyant comme ça avachi et surtout recroquevillée sur toi-même, j’ai l’impression que tu m’en as soit trop dit soit pas assez. Et dans tous les cas, ton sort ne m’est plus indifférent.

L’altruisme d’Enishi suintait dans chacun des mots qu’il venait de prononcer et il aurait fallut être sourd pour ne pas s’apercevoir qu’il ne pouvait maintenant plus laisser cette fille en paix tant qu’il ne l’aurait pas amené sur le droit chemin.

- Je ne veux pas te forcer, après tout, on ne se connait pas si bien. La preuve, j’ignore même ton nom. Mais si je peux être l’oreille dont tu as besoin pour te sentir mieux et abandonner ce penchant pour l’alcool que tu as, alors je le ferai.

Puis il s’approcha d’elle, la prit par les épaules et la fit se redresser. Elle avait jusqu’à présent la tête posée sur ses genoux, qu’elle avait collé à son buste. Il trouvait cette posture trop misérabiliste, comme si elle ne voulait pas allez au devant de ses problèmes, et pire, qu’ils lui plaisaient. Il voulu ensuite attendre sa réponse à cette question qui devait sonner comme un choix pour elle, demander à Enishi de partir ou de rester, mais il voulait avant cela avoir une autre réponse :

- Mais … Quand même … Quel âge as-tu ?

Elle était figée comme dans un cadre, un ciel azuré en fond. Ses yeux fendaient les nuages blancs comme pour voir au-delà, et ses petites mains semblaient serrer son cœur pour garder en elle ce qu’elle y trouvait. Elle était ailleurs, seule son aura spirituelle rayonnait encore aux côtés d’Enishi.

- Pourquoi ? … Pourquoi veux-tu m'aider ?

Elle semblait souffrir de chacun des mots qu’elle prononçait, ce qui expliquait qu’elle s’y soit prit à plusieurs reprises pour terminer cette phrase. Celle-ci sonnait d’ailleurs tel un appel à l’aide, comme si en demandant pourquoi on voulait l’aider elle demandait en réalité à ce qu’on l’aide tout simplement. Dans tous les cas, quelle que puisse être la réaction que l’on puisse avoir en voyant ainsi cette fillette parler, il était strictement impossible de ne pas être touché par l’émotion qu’elle dégageait.

- A-t-on besoin d'une raison pour aider quelqu'un ?

Enishi eut l’impression que quelqu’un d’autre parlait à sa place lorsqu’il prononça cette phrase. Elle lui correspondait, la question n’était pas là, puisqu’elle faisait partie des principes fondamentaux inébranlables pour lui qui devaient guider sa vie. Mais il sentait qu’il n’aurait peut être pas parlé comme ça dans d’autres circonstances. S’il n’avait pas été charmé par l’âme d’enfant qui se tenait si fragile devant lui il aurait même pu passer son chemin.

- Je ne cherche rien en faisant cela, si ce n’est ta confiance et ton amitié.

Tout était sincère dans ce qu’il disait et il espérait au plus profond de lui-même que la petite fille le comprenait. Car si ça n’était pas le cas, soit il devrait insister et sa bonne foi pourrait alors être remise en cause, soit il en resterait là, et l’attachement d’un moment qu’il avait montré envers elle paraitrait factice. Il était dans tous les cas très difficile de cerner les émotions de la jeune fille qui en plus d’avoir un visage relativement neutre était encore ivre. Elle pouvait très bien ne pas avoir conscience de l’échange qui se faisait entre eux et répondre aléatoirement aux questions d’Enishi, laissant ses pensées enfouies agir à sa place. Ce cas serait le plus perturbant pour le jeune ninja car même si elle se livrait à lui, qu’elle lui énonçait un à un tous les problèmes qu’elle pouvait avoir, aucuns liens ne se tisseraient puisqu’elle n’aurait souvenir de rien. Enishi se demandait alors de plus en plus s’il n’avait pas fait le mauvais choix en restant auprès d’elle, si finalement elle ne pouvait pas simplement décuver et rentrer chez elle, que ses parents puissent la réprimander et finir par comprendre qu’elle n’était pas bien. Ce n’était pas son rôle mais, il l’avait si bien dit de ses fines lèvres : on n’a pas besoin de raison pour aider quelqu’un.

Ce qui inquiétait vraiment le plus Enishi, c’était qu’elle puisse ne pas se souvenir de cette rencontre. Le jeune ninja n’avait jamais rencontré de personnalités célèbres qui auraient pu le marquer à vie et lui permettre de se dire plusieurs années après « tient, un jour j’ai vu un tel, c’était bien ». Mais toutes les personnes qui avaient un jour voulu croiser son chemin avaient encore aujourd’hui une place dans sa mémoire. Que ce soient ses partenaires au dojo ou un simple vendeur de fruits, jamais il n’avait voulu oublier. Il voulait pouvoir se souvenir, après avoir accomplit son rêve et être devenu vieux, qu’il avait rencontré tant de gens avant d’y arriver, et que chacun contribuaient sans doute à le constituer spirituellement. Elles étaient sa force lorsqu’il se battait et ses mots lorsqu’il contestait. C’était comme cela qu’il voulait construire son destin, vivre pour prouver qu’il était vivant. Et imaginer que cette fillette puisse l’oublier une fois qu’ils seraient quittés lui fendait le cœur. Non pas parce qu’il avait sa fierté et qu’il voulait être remarqué, mais parce qu’il devait sans doute être la seule personne a jamais avoir essayé de lui parler aussi librement, et qu’elle ne s’en souviendrait même pas une fois sobre.

Dans tous les cas, la réaction de la petite fille ne tarderait pas à se faire savoir, et Enishi saurait vite s’il devrait oui ou non s’en vouloir toute sa vie de ne pas avoir pu la sortir de son chagrin, révélation qui agirait cette fois-ci directement sur sa dignité.

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