Rencontre dans le noir [ Pv : Hari Tsuki ]

Dormir, toujours et encore plus. Quand il n’y avait rien à voir de ce monde monotone, ennuyeux, notre petit loupiot dormait. Au moins, pensait-il quand il s’était perdu dans une grotte naturelle, le monde des rêves est toujours aussi fascinant. Comme toujours, il avait fini pour sécher les cours de l’académie et savait pertinemment que Darui-sensei lui ferait payer par des heures d’entrainements. Un prix que Tsuki ne souffrait pas de débourser, car d’une certaine manière, cela l’amusait d’obliger les profs à réfléchir à de nouvelles punitions pour changer son comportement. De plus, s’il était allé se cacher dans ce trou perdu, c’était pour ne pas avoir à rentrer chez lui tout de suite. Pourquoi ? Pas compliqué ; ses parents, sa sœur et son nouvel alpha, prendraient un malin plaisir à lui faire la morale, sur quoi il ne devait pas passer la nuit dehors, que c’était dangereux. Et patati et patata. Comme si le Hari ne pouvait pas s’occuper seul de sa survie.

Perdu dans ses songes, dans lesquels il était sous sa forme animale, le loup chassait et sa proie du jour était un daim vachement rapide. Cela faisait un moment que la course poursuite avait commencé et ni le chasseur et encore moins le chassé ne voulait s’arrêter. Si l’enveloppe poilue grondait de rage contre cette proie tenace, l’humain endormi en faisait autant, tellement qu’on le croirait en train de cauchemarder. Mais le temps des souffrances prenait fin et le canidé commençait enfin à combler l’écart qu’il y avait entre lui et le daim. Quelques minutes plus tard, le loup noir pouvait enfin souffler. En un bon gracieux et plein de puissance, il était tombé sur son déjeuner et lui avait planté les crocs dans le coup, secouant la tête de la pauvre bête jusqu’à ce que le coup se brise. Plein de satisfaction, Aoi version poilue s’apprêtait à attaquer son festin, quand une odeur dans le vrai monde le perturba et brouilla petit à petit ce monde onirique.

Ramené dans un état de somnolence, où un rien pouvait le tirer de sa torpeur, le louveteau, gesticulait. Un humain, encore de la chair fraiche, mais qui puait la nicotine et la colère, rien de bien intéressant en soi. Mais quelqu’un d’un peu dérangé sur les bords, ça pouvait être amusant à taquiner, quoi que l’aspirant ne fût d’humeur à être le protagoniste d’un combat bestial. L’odeur s’approchait puis un cri de douleur se fit entendre ; l’homme, facile à dire vu la gravité de la voix, venait de se prendre un bon coup. Etant rentrer en marchant à quatre pattes, le Hari n’avait point eu de problème de ce genre. A nouveau la voix masculine résonna. S’il y avait quelqu’un ? Bien évidemment qu’il y avait quelqu’un, quelque chose plutot et tu venais de le réveiller banane ! Ouvrant à demi les yeux, le fils de la lune s’étira en baillant, un son plus proche du grognement qu’autre chose. Lui, de mauvais poil quand on le réveille ? Touché !! Répondant d’une voix où l’on sentait la fatigue, Tsuki s’exprima.

- Non, y’a personne.

Puis baillant de nouveau, cette fois-ci on eut dit un hurlement étouffé, l’enfant loup s’approcha afin qu’on puisse le discerner dans pénombre. Lui, voyait très bien, les loups étant plus des animaux nocturnes que des animaux de jour. Se grattant derrière l’oreille, il commença à râler.

- P’tain… Même dans ce trou perdu, j’peux pas pioncer sans me faire lever. Oh, mais que vois-je ? J’ai eu droit au chaperon rouge, dernièrement Blanche-Neige a envahi ma maison. Et maintenant je tombe sur Boucle d’or. Tu sais, c’est pas mon boulot de te bouffer, va chercher un ours dans une autre grotte, tu veux…

Aoi Tsuki, en mode grognon, c’était une première, mais est ce que ce n’était pas un de ses nouveaux stratagème pour faire fuir l’ennui. Machiavel a trouvé un successeur.

Après coup, le louveteau se mordit la langue, se rendant compte de la stupidité de ses actes. Il aurait très bien pu continuer à faire le mort et ainsi, le trouble fait s’en serait allé en pensant avoir fait une terrible découverte. A moins qu’il n’ait eu assez de couilles pour le porter et l’amener directement à l’hosto, une hypothèse qui arracha un petit rire au jeune Hari. Il n’avait jamais eu de problèmes de ce genre et les réprimandes de sa famille risquaient d’être de premier ordre. Vraiment dommage, pensa-t-il en soupirant. Mais tout n’était pas perdu, bien au contraire, la rencontre en elle-même paraissait être d’un grand cru. Aussi, faisant des efforts pour chasser sa mauvaise humeur et pour contenir ses envies de mordre l’inconscient qui l’avait tiré de sa torpeur, il reporta son attention sur le blondinet en face de lui.

Comme prévu, ce dernier avait été interpelé par l’appellation que lui avait attribuée Tsuki. Perplexe, le pseudo barman examina sa coiffure pour en venir à la conclusion que l’enfant lune s’était faite dans sa tête. Quand la question résonna, l’aspirant afficha un sourire, certes qui ne lui montait pas jusqu’aux oreilles, mais sourire quand même. De plus, l’animal sentait qu’au lieu de la colère, une curiosité assez justifié envahissait son interlocuteur. Un fait pas très nouveau, qui fit revenir l’ennui qui l’habite si souvent dans ses pupilles argentées. Il était habitué à être au centre des attentions, son comportement anormal même pour sa propre famille s’assurait qu’il en soit toujours ainsi. Ce fut donc avec un ton neutre qu’il répliqua. Plus rien n’échappait de lui, ni colère, ni rage, juste de l’ennui.

- Non, mais tu es blond, c’est largement suffisant. Mais si tu préfères, je t’appelle Blondie…

Le nouveau surnom était un peu trop féminin, inconsciemment le fils de la lune voulait peut-être encore irriter le barman. Mais toutes les affirmations que Blondie venait de balancer était en très grand partie fausse. Le louveteau était capable de le manger, si l’envie et la rage était au rendez-vous. D’ailleurs, lui revint sa rencontre avec un dénommé Jin et avec ce souvenir l’étrange sentiment d’avoir dépassé quelque limite invisible. Alors, d’une voix qui se faisait lointaine, Aoi marmonna ses quelques mots, qui dans le silence de la grotte, semblait avoir été prononcé à voix haute.

- La dernière fois que j’ai dit à quelqu’un que j’allais le bouffer, il m’a balancé un gros os à la tronche et décampé comme un lapin. Pas besoin de raison pour bouffer quelqu’un, si les conditions sont là, rien n’empêchera la proie de se faire gober…

Puis il se mit à réfléchir à la question qui lui avait été posée. ‘‘Quelqu’un comme toi’’… Qu’est ce que ça voulait dire, ça ? Qu’il était spécial, étrange, dangereux ? Les trois hypothèses étaient correctes. En tant que lycanthrope, il était spécial car essentielle à la force militaire du village. Etrange, à part s’il se droguait aux somnifères, ce qui n’était pas le cas, être capable de s’endormir brusquement pour se lever de la même manière, c’était assez bizarre. Dangereux, il l’était s’il se transformait, car il attaquerait ami ou ennemi sans aucune distinction, c’était le revers de la médaille du pouvoir qu’il avait hérité. Et puis trêve de réflexion, ça le démoralisait d’une certaine manière. Un nouveau soupir.

- Tu poses toujours des questions alors que tu connais déjà la réponse ou tu n’as rien écouté de ce que je t’ai balancé quand tu m’as réveillé ?

Soudain la grotte devint étroite, enfin selon les sens du louveteau. Une boule lui faisait mal à l’estomac et il commença à suer à grosses gouttes. Claustrophobe ? Possible, le loup avait vécu la scène la plus marquante dans une pièce close et depuis, il avait toujours évité inconsciemment les espace clos. Il ne dormait pas dans sa chambre, ne supportait pas de rester dans les salles de l’académie, s’endormait toujours à l’air libre. Contrairement à ce que de nombreuses personnes pensaient, la grotte était profonde et donnait sur l’autre flan de la falaise, donc n’était pas close. Mais la présence de quelqu’un changeait les choses.

- On étouffe dans cette fichue grotte, je sors…

Le vent ne dérangeait pas le loup et encore moins le froid. La température de son corps était plus élevée que la normale à cause de son animal totem. C’était pourquoi, le fait qu’il soit si peu habillé, un simple sort noir et une chemise ouverte de la même couleur, n’était pas un problème. L’écharpe ? Vous savez très bien qu’il ne l’enverrait jamais, pas même pour tout l’or et le pouvoir du monde.

La tension montait dans l’espace confiné qu’offrait cette grotte et Tsuki sentait que son interlocuteur s’efforçait à garder son calme. Mais pour l’instant, il était comme lui, ennuyé par les paroles de celui qui se trouvait en face de lui. Et puis, sincèrement, il n’y avait pas grand-chose dans ce monde monotone qui pouvait enthousiasmer le louveteau. Quelque part le blondinet était l’exacte opposée du jeune Hari, l’un d’un calme à toute épreuve, l’autre montant constamment sur ses grands chevaux. L’un blond, crinière aussi rayonnante que le soleil, l’autre brun, plumage désordonné du Maître corbeau. L’un humain, l’autre animal. Mais le fils de l’astre nocturne était peut-être le seul à se rendre compte de la contradiction qu’ils étaient l’un pour l’autre. Aussi, il se tût, préférant que le barman se rende compte du fait par lui-même, ce qui se ferait surement très vite. Aux paroles de jeune homme à lunettes l’enfant loup eut un rire amer, avant de répondre d’un air blasé et de clore le sujet sur cette histoire.

- Il faudrait déjà que je sois la petite bête…

Une phrase dans le vent, vu qu’Aoi était certain que cela n’intéresserait pas l’aspirant en face de lui. Ses propres paroles ne l’intéressaient pas vraiment, à bien y réfléchir, tandis que l’odeur du sang se faisait de plus en plus oppressante dans ses narines. Vint ensuite la réponse à la question un peu provocante que lui avait faite le fils du couple alpha. Il avait certes mis ouvertement en doute les capacités auditives du jeune homme et voir une réponse aussi neutre le la part du jeune homme ne fit qu’ennuyer davantage notre dormeur compulsif. Cette conversation, qui au départ s’annonçait fort distrayante, commençait à devenir aussi soporifique que les cours de Darui-sensei. Une fausse interrogation à laquelle le loupiot ne vit pas l’intérêt de répondre. Cela ne regardait que lui et il n’avait aucunement envie de passer pour un malade en cavale (ce qui était déjà peut-être déjà le cas).

Puis, le blondinet régla le problème du surnom en donnant tout simplement le sien. A l’entente du mot ‘‘crépi’’, le Hari leva les yeux sur sa coiffure mais s’offusqua pas du tout vu que dans le sens, l’appellation était plutôt bien trouvée. Cependant, ne disait-on pas qu’on ne devait pas juger un livre sur sa couverture ? Il en allait de même avec l’apparence quelque peu étrange des cheveux du jeune loup noir. S’ils semblaient être, en plus de pointus et à l’aspect dangereux, la crinière de l’animal était d’une douceur surprenante et sans aucun nœud apparent. Or, Tsuki ne voyait pas l’importance d’un surnom pour lui, s’il n’avait pas le droit d’en donner aux autres. D’ailleurs il fit aussi la remarque à son interlocuteur.

- Shizuo pour moi, Tsuki pour toi. Plus de surnoms, aussi bien trouvés soient-ils.

En ce qui concernait le ‘‘petit’’, Tsuki le retenait et s’en servirait plus tard contre lui. Et l’opportunité se présenta bien plus vite qu’il ne l’espérait. Alors qu’il prévenait qu’il se rapprochait de l’entrée, à cause d’une étrange sensation d’oppression, le blondinet rétorqua aussitôt qu’il ne l’accompagnerait pas. Le louveteau ne se préoccupa point des paroles du barman mais lui répondit quand même.

- Je ne t’ai jamais demandé de m’accompagner. Pas besoin qu’on me tienne en laisse.

Une fois arrivée à l’entrée de la grotte, le Hari inspira profondément avant de relâcher l’air qu’il avait fait entrer des ses poumons. Il s’était trompé, ce n’était pas la claustrophobie qui lui nouait l’estomac, mais l’odeur du sang qui embaumait tout l’intérieur de la grotte. Les prédateurs étaient attirés par l’odeur de ce liquide vital et l’homme à lunettes avait une blessure qui saignait assez pour attirer tous les fauves de la région, s’il y en avait eu. A moitié hypnotisé par l’enivrante fragrance, le loup noir dit d’un air rêveur, le vent emportant sa voix jusqu’au destinataire se cachant dans la grotte.

- Du sang… Tu devrais faire quelque chose pour ta main. Tu risques d’attirer tous les carnivores du coin, comme ça. Et puis cette odeur me met mal à l’aise.

Fixant le ciel, le vent fourrageant ses cheveux déjà désordonné, les pupilles argentés de l’enfant loup avaient quelques reflets bleus sous le faible éclat de l’astre solaire. Mais, ainsi, le dos tourné à son interlocuteur, ce dernier ne pouvait voir la lueur fauve qui brillait dans les yeux du prédateur. Conscient du danger qu'il représentait, Tsuki se leva et s'en alla.